Il est des personnes dont le vécu ne laisse personne indifférent. Très, bon ou personnage à polémique, chacun peut le qualifier selon sa perception. Ce qui est certain, Roger Gbégnonvi a marqué son temps.
Acte 1
En avril 2006, j’ai remporté le prix unique du journalisme d’investigation dans la catégorie radio, toutes langues confondues, à l’issue d’un concours organisé par Transparency International Bénin (TIB) dont le professeur Roger Gbégnonvi était le Secrétaire Général aux côtés de l’intraitable Adrien Ahanhanzo Glèlè, président de TI Bénin. Le processus de sélection et de vérification des performances fut confié à un cabinet qui fit un travail titanesque avant de proposer les trois nominés parmi lesquels TI Bénin retint ma candidature. D’autres personnalités avaient été distinguées pour le prix d’intégrité dont la célèbre Séverine Lawson, magistrat dont la réputation professionnelle, la moralité incorruptible et la crédibilité sociale furent révélées au grand jour par la gestion de ce sulfureux dossier dénommé ‘’frais de justice criminelle’’. Un ancien directeur de l’office du baccalauréat fut également distingué.
Acte 2
Quelques mois après la réception de mon prix, je fus invité au séminaire des écrivains et éditeurs en langues nationales au Centre Culturel Chinois. C’est une fois sur place que je compris comment j’ai été identifié. Mes activités de traduction, de journalisme en gungbe et les frémissements de travaux de recherche de ce temps ont été pour quelque chose. Nous étions à ce séminaire lorsqu’un jour, un appel vint du palais de la présidence. Les anciens se sont concertés et ont désigné deux personnages, à savoir le ministre Ali Houdou et le professeur Roger Gbégnonvi pour prendre part à la rencontre. Les visages, à la fois radieux et perplexes, revenus du palais de la présidence, annonçaient une nouvelle que seuls les anciens pouvaient très bien décoder. Mais, ils eurent le courage de nous souffler des mots en parabole. Quelques jours après, le professeur Roger Gbégnonvi fut nommé Ministre de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues Nationales (MAPLN). Nous étions en 2007. Il occupa le portefeuille ministériel avec zèle et détermination. Quelques jours après sa nomination, il entreprit une tournée nationale de vulgarisation de sa philosophie pour la promotion des langues nationales. Mon activité à l’ORTB me permit de faire une petite partie de la tournée en qualité de reporter avec sa délégation dans l’Ouémé et le plateau. Je me souviens encore de la phrase célèbre qu’il n’avait de cesse de répéter à chacune des étapes en langue nationale fɔn en ces termes « xɛ̀fún mɛ̀ wɛ̀ xɛ̀ nɔ su ɖe », traduite culturellement par : « l’oiseau grandit dans son plumage ». Pour lui, le développement doit être endogène ; et pour y arriver, il faut s’appuyer sur les ressorts culturels véhiculés par la langue. Cela pourrait paraître ‘’une incantation’’ ou des ‘’chimères’’ aux yeux du public. Mais pour les linguistes et militants des langues et cultures autochtones, c’est la substance même de la promotion des langues nationales qui est ainsi déclarée. Roger Gbégnonvi devint ‘’populaire’’ au point que certains l’appelaient grossièrement « Ministre xɛ̀fúnmɛ̀». Malheureusement, son activité ministérielle n’a duré qu’une année environ. D’autres considérations étaient entrées en jeu et ont contraint le régime du changement à supprimer le ministère.
Acte 3
Enfin, le professeur Roger Gbégnonvi fut l’une de mes personnes-ressources à l’occasion de mes recherches pour la soutenance du mémoire de DESS en Gouvernance et démocratie à la Chaire Unesco des droits de la personne et de la démocratie en 2007 à l’Université d’Abomey-Calavi. Travaillant sur « la corruption électorale au Bénin », Roger Gbégnonvi, membre influent de Transparency International Bénin était un bon informateur pour moi. Bien connu pour ses coups de botte dans la fourmilière des corrompus et repus de la république, notamment ceux qui se rangent dans les arènes politiques pour mieux jouir sur le dos du grand nombre, il m’avait reçu, au moins deux fois avec beaucoup de plaisir, dans son appartement à Mawulé près du marché Dantokpa. Le premier jour de notre rencontre, à l’étage, il prit du plaisir à me parler de sa vie de famille et me décrit un peu l’appartement. Je compris que Roger Gbégnonvi est un homme de l’essentiel. Il ne s’entoure pas d’enjoliveurs et ne s’encombre pas d’orgies. Son style de vie, simple et modeste, fait sa richesse et lui donne le temps de s’occuper de l’écriture. Roger Gbégnonvi, un personnage apparemment délicat, est perçu de loin pour son austérité et ses nombreuses polémiques. Ces dernières années, il a beaucoup dérangé certaines sensibilités à travers ses chroniques et prises de paroles virulentes contre le harcèlement sexuel en milieu universitaire ; un mal réel qui détruisait l’image des enseignants-chercheurs. Homme au grand style, sobre, intègre, Roger Gbégnonvi a marqué les esprits.
Chrétien catholique, pour ce que je sais, Roger Gbégnonvi est pourtant très raisonné. Ancien représentant résident de la fondation Friedrich Nauman au Bénin, Roger Gbégnonvi fut professeur de lettres et de communication. Avec son décès brutal, il va manquer à tout le peuple béninois qui l’apprécie diversement.
Que pouvons-nous contre la volonté de l’Eternel ? Un jour on naît, un jour on meurt. Je rends grâce à Dieu pour la vie du professeur Roger Gbégnonvi qui m’a personnellement marqué. Durant sa vie, il a dérangé beaucoup de mauvaises pratiques au Bénin. Mes vives et sincères à tout le peuple béninois, courage à sa famille et que son âme repose en paix.
Maintenant que sa langue est collée au palais et que l’encre de son stylo s’est épuisée, souvenons-nous de lui et prions pour lui.
Charles Dossou Ligan
Maître de conférences en linguistique africaine descriptive et terminologie
Enseignent-chercheur à l’université d’Abomey-Calavi
Expert en communication / gouvernance & démocratie
